5 mars 2017

Homélie pour le 1er dimanche de Carême

Du Père Patrick Sempère

Tout passage d’évangile est là pour nous révéler, pour éclairer, tant l’être de Dieu que notre vie d’homme. Ce passage des Tentations n’y échappe pas. Il est une lumière pour réaliser notre vie d’homme. Mais pour y entrer, il mérite deux préalables.

 

Le premier préalable est de nous rappeler que Jésus, tout Fils de Dieu qu’il soit, a vraiment connu notre condition d’homme. Comme nous, Il a été homme « jusqu’au bout des ongles ». Excepté le péché, bien sûr.

 

Cette exception ne déroge pas à sa véritable humanité « S’il n’a pas péché, il n’est pas vraiment comme nous. Car tout homme est pécheur. Le péché est propre à l’homme. Il fait parti de sa nature ». C’est souvent ce que l’on entend. Et bien non ! Le péché ne fait pas parti de la nature de l’homme ! Au contraire, il l’abime.

 

Le péché en effet, tout péché, grand ou petit, public ou privé, abîme l’homme. Il l’empêche d’accéder à la plénitude de son humanité. Le simple bon sens le montre. Nous nous rendons bien compte qu’après un péché, on n’est pas plus heureux ; on ne se sent pas plus à l’aise dans ses baskets. Le péché nous éloigne de nous-même, de notre appel à aimer. Il n’est donc pas propre à l’homme.

 

Pour en revenir à Jésus qui est sans péché, il est donc parfaitement homme. Il révèle donc à chacun comment il peut advenir à sa pleine humanité. Si nous le regardons comme n’étant pas vraiment l’un de nous, nous ne pourrons pas vraiment nous engager à sa suite. Les tentations n’ont plus rien à nous dire.

 

Le deuxième préalable pour accueillir la lumière de cet évangile est de nous rappeler que Mt compose ici un récit pour expliquer à ses lecteurs ce qu’est une tentation et comment y résister. Que Jésus ait été tenté, cela ne fait aucun doute. Il est vrai homme. Mais il ne faut pas en rester à la forme de ces tentations, telle que Mt les relate. Un seul exemple le montre : aucun montagne ne permet de voir tous les royaumes du monde et leur gloire.

 

Il en est de même avec la première lecture que nous avons entendue : celle du péché originel. Il y a là encore un texte d’une immense finesse. Mais il ne s’agit pas de le lire de façon littérale. L’auteur n’est pas plus bête que nous. Il sait bien qu’un serpent ne parle pas. Il sait bien qu’un arbre de la connaissance du bien et du mal n’a jamais existé.

 

Que fait-il alors ? A travers un scénario qu’il invente de toute pièce, mais conduit par l’Esprit Saint, il cherche à expliciter une vérité universelle, une réalité qu’il constate tant dans le monde que dans son propre cœur : l’existence du péché. Comment le péché fait-il son chemin dans le cœur de l’homme ?

 

Mt, avec ce récit des tentations, reprend cette même perspective. Puisque Jésus est vraiment homme, comme tout homme, il a été tenté. Et il compose ce récit pour expliquer comment Jésus a connu des tentations. Avec une énorme différence : comme nouvel Adam, il n’est pas tomber dans la tentation et n’a donc pas péché.

Ces deux préalables étant posés, nous pouvons en venir au récit de Mt. Je vais m’arrêter seulement sur sa toute première phrase, déjà si riche : « En ce temps là, Jésus fut conduit au désert par l’Esprit Saint pour être tenté par le diable ». Vous l’aurez remarqué : c’est l’Esprit qui conduit Jésus au désert. Mais c’est le diable qui vient le tenter.

 

L’Esprit Saint est celui qui conduit, qui veut faire grandir. Même lorsque nous sommes au désert. Même lorsque nous sommes dans l’épreuve, car le désert est le lieu de l’épreuve, l’Esprit Saint est là. Nous ne sommes jamais seul au désert. Nous ne sommes jamais seuls dans nos épreuves.

 

Pourquoi l’Esprit conduit-il au désert ? Parce que l’épreuve est toujours l’occasion d’affermir la relation au Père. Jésus vient d’être baptisé. Il sait qu’il est le Fils bien aimé. Mais avec le désert, la réalité de la vie le rejoint. Car nul homme ne peut traverser la vie sans connaître d’épreuve. Jésus n’y échappe pas. Mais il réalise que même là, même dans l’épreuve, il reste le Fils bien aimé. Nul n’est abandonné de Dieu, même dans son épreuve.

 

Mais en ces épreuves, le diable vient aussi mettre sa patte pour essayer justement d’affaiblir le lien avec Dieu. L’épreuve devient alors tentation, occasion de remettre en question la relation au Père, d’affadir – voire de briser - le regard, la compréhension de l’amour de Dieu et alors notre propre amour de Dieu.

 

Le récit du péché originel le montre bien. Les paroles du serpent font apparaître Dieu comme Celui qui interdit : « Dieu vous a vraiment dit : vous ne mangerez d’aucun arbre du jardin » ! Or - je vous laisse vérifier par vous-même - Dieu a dit exactement le contraire : « Tu peux manger de tous les fruits… ». Mais, cette parole divine de don n’est plus mentionnée par le diable.

 

Et voilà la porte d’entrée du péché : nous regardons toujours ce que nous n’avons pas. Jusqu’à oublier ce qui nous a déjà été donné. Jusqu’à regarder Dieu comme Celui qui prive de quelque chose de bon. Jusqu’à vouloir alors le prendre par nous-même au lieu de recevoir. Mais si je prends moi-même, il n’y a plus de relation.

 

Jésus résiste à la tentation de prendre par lui-même, de faire par lui-même. Même comme Fils de Dieu. Même dans le manque, même dans l’épreuve, il veut encore recevoir de Dieu. Il montre ainsi le chemin pour ne pas se faire avoir en prenant certes. Mais alors en se retrouvant sans relation.

 

« L’homme ne vit pas seulement de pain mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu ». De quoi nous nourrissons-nous ? Sur quoi construisons-nous notre vie ? « Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu ». Mettre Dieu à l’épreuve, c’est vouloir mettre la puissance de Dieu à son service. Or il s’agit de se faire serviteur. Est-ce que je suis serviteur ? « À lui seul tu rendras un culte » ! Qui a la première place dans ma vie ?

 

Des tentations, comme homme que nous sommes, il est impossible de ne pas en rencontrer. Avec les tentations, Jésus montre qu’elles ne sont pas une fatalité. Il est possible de ne pas y succomber et ainsi d’en sortir plus fort dans notre relation au Père, d’accéder à davantage d’humanité.